Alphonse Lévy (Marmoutier, 1843 - Alger, 1918), Yom Kippour, France, 1888
8. Rites et traditions
L’année débute par un cycle de solennités désigné par l’expression « Jours redoutables » (yamim norayim), et placé sous le signe du jugement et de la pénitence.
Du nouvel an juif au Grand Pardon : les jours redoutables
Le nouvel an juif (Rosh ha-Shanah) est célébré les 1er et 2 du mois de tishri. En ces deux jours, Dieu, se souvenant de ses créatures, passe en jugement l’humanité. Les services religieux donnent une expression liturgique à cette comparution ; la prière est scandée par des sonneries tirées d’une corne de bélier (shofar) dont les modulations doivent inciter au repentir. La tradition introduit les notions symboliques de « livre de la vie » (sefer ha-hayyim) et de « livre de la mort » (sefer ha-mavet) où s’inscrivent les jugements divins. Des traditions culinaires incluent la présentation, la veille de Rosh ha-Shanah, de mets évoquant la douceur et l’abondance.
Le jugement n’est cependant véritablement scellé que le jour du Grand Pardon (Yom Kippour), célébré dix jours plus tard, le 10 du mois de tishri, par un jeûne et des prières pénitentielles qui se prolongent plus de vingt-quatre heures. C’est le jour du verdict, point culminant de dix jours de pénitence pendant lesquels on a confessé ses péchés et demandé pardon aux hommes et à Dieu. La veille de la fête, l’expiation se sera exprimée à travers des rituels qui varient selon les communautés : rites de purification et de contrition, sacrifice expiatoire et offrandes aux pauvres.
Les offices, ponctués par les confessions, commencent le soir avec la prière intense du kol nidrei (littéralement « tous les vœux ») qui inclut la communauté tout entière et annule les vœux hâtifs ; ils se terminent le lendemain soir avec la prière de ne’ilah, qui se déroule les portes de l’arche sainte ouvertes et scelle le destin des hommes. Une dernière et longue sonnerie du shofar retentit pour marquer la fin de la cérémonie.
Dans certaines communautés, nombre de fidèles passent la journée debout, respectant un vœu de silence, ne prononçant que leurs prières. Les hommes portent un vêtement mortuaire blanc et une ceinture retenue parfois par une boucle dédiée à la fête.
Certains étendent la dénomination de « Jours redoutables » aux quarante jours qui vont du 1er du mois d’eloul au jour de Kippour. D’autres prolongent cette période jusqu’à Hosha’na Rabbah, septième jour de la fête des Cabanes (Soukkot), ultime délai pour demander la rémission des péchés. On passe la nuit en études et le lendemain on récite les prières de supplications (Hosha’not) en brandissant le bouquet des quatre espèces et en balayant le parquet de feuilles de saule : « Nous te supplions (Hosha’na) de nous accorder le salut. »
Le shabbat
Boîte pour aromates (boîte pour bessamim), Schwäbisch Gmünd, Allemagne, XVIIIe siècle
« Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car ce jour Il cessa toute l’œuvre qu’Il avait entrepris de créer » (Genèse, 2, 3). Afin de témoigner du caractère divin de la Création, et de s’associer ainsi au maître de l’univers, l’homme est invité, à l’instar de Dieu, à délaisser son activité quotidienne. Cette dimension de sainteté attachée au jour du Shabbat trouve dans le texte du Décalogue (Exode, 20, 8-11) un complément social, puisque le commandement précise que le repos concerne tous les êtres – l’homme, sa famille, mais aussi toute sa maisonnée, les esclaves et les animaux. La célébration de ce jour et le marquage du temps qu’il impose s’expriment par l’arrêt de toute action qui modifierait l’ordre des choses – naturel, mécanique ou social – auquel l’homme parvient à l’issue de la semaine. À partir des opérations nécessaires à la construction du Tabernacle dans le désert, conçu comme un microcosme à l’échelle humaine, la tradition juive répertorie trente-neuf travaux fondamentaux, leurs dérivés, et les interdits d’ordre rabbinique.
Le retrait du quotidien s’accompagne d’une multitude de manifestations d’ordre rituel ou spirituel, destinées à signifier la spécificité de ce jour. Célébré comme une reine, Shabbat ha-malkah, dit aussi « princesse Shabbat », on accueille le début du shabbat le vendredi avant la nuit au son de psaumes (qabbalat Shabbat), suivis de la sanctification du jour, récité sur une coupe de vin (qiddoush), devant deux flammes, et de la bénédiction qui sera prononcée sur deux pains (hallot), en souvenir de la double ration de manne que recevaient les Israélites dans le désert le vendredi.
Le shabbat se clôt le samedi soir à l’apparition des trois premières étoiles, par la cérémonie de séparation (havdalah), avec une coupe de vin, à la lumière d’une torche, en humant les herbes odoriférantes (bessamim), dont on gardera le parfum pendant le début de la semaine. Pour prolonger encore ces moments, une collation d’« adieux à la reine » (melaveh malkah), est servie.
Le but suprême du shabbat est de développer le supplément d’âme (neshamah yeterah) que reçoit chaque juif ce jour-là, par ce que le prophète Isaïe a nommé le « délice du Shabbat» (58, 13-14). Dans cet esprit, on consomme trois repas conviviaux (shalosh se’oudot), composés de mets cuisinés dès la veille, égayés de cantiques et émaillés de propos sur la Torah. L’étude et le repos trouvent également leur place dans cette journée, ainsi que les offices à la synagogue. Les maîtres du Talmud ont veillé à ce que tout propos, aussi anodin soit-il, relatif aux préoccupations de la semaine (millei de-hol) soit proscrit. Chaque juif doit avoir à cœur d’oublier ses soucis quotidiens et éviter toute immixtion du profane dans le sacré, pour vivre intensément ces instants de préfiguration du monde futur (me’en ‘olam ha-ba).
La prière
Livre de prières, Livre de bénédictions, Seder berahkhot, Levi Offenbach, scribe, Nancy, France, 1767
On trouve quelques prières dans la Bible, mais ce sont des expressions individuelles spontanées. La prière dans le judaïsme naît à Babylone, lors du premier exil (586 av. l’ère chrétienne), pour remplacer les sacrifices devenus impraticables. On se réunit pour lire et commenter la Torah, et c’est alors que prend corps le principe de service divin s’exprimant par les voies du cœur (‘avodah she-ba-lev),.
La prière est institutionnalisée lors du retour des exilés. Les membres de la « Grande Assemblée » établissent trois prières quotidiennes (tefillah ou ‘amidah) correspondant aux temps forts de l’activité au Temple : les holocaustes du matin et de l’après-midi (shaharit et minhah) et une prière nocturne (‘arvit ou ma’ariv).
La tradition prendra pour modèle la prière des personnages bibliques : les trois patriarches ont posé les jalons des trois prières quotidiennes, Moïse et Hannah ont dicté la forme qu’elles revêtent, le roi David est l’archétype du serviteur en prière. L’orant est semblable aux créatures célestes (hayyot,) décrites par Ézéchiel (1,7), pieds joints, la tête légèrement inclinée et le cœur dirigé vers les hauteurs.
Toute adresse à Dieu doit être introduite par des propos laudatifs, et conclue par l’expression de remerciements. C’est ainsi qu’est bâtie la prière (tefillah) : trois bénédictions initiales de louanges, et trois bénédictions finales d’actions de grâces, la partie centrale diffère selon la solennité du jour : en semaine, on introduit douze suppliques, portant le nombre de bénédictions à dix-huit, d’où l’appellation coutumière « les dix-huit » (shmoneh ‘esrei), quand bien même on en ajoutera ultérieurement une dix-neuvième. Le shabbat et les jours de fête, une unique bénédiction spécifique est intercalée. Une tefillah supplémentaire (moussaf) est récitée les jours fériés quand la Torah prescrit un sacrifice supplétif.
La prière quotidienne est la circonstance idéale pour l’accomplissement d’autres prescriptions, de sorte que la récitation du « Écoute Israël » (Shem’a Yisra’el) ainsi que des textes liturgiques qui l’entourent y a été intégrée. La pose des phylactères (tefillin), le drapement du châle frangé (tallit), et la lecture de la Torah se feront de préférence à cette occasion.
Conformément à l’adage talmudique « La gloire du Roi est magnifiée par la multitude de ses sujets », les rabbins ont insisté sur l’importance de la prière publique, le quorum (minian) s’élevant à dix hommes. Certaines prières particulièrement solennelles ne sont récitées que si le minian est constitué.
L’étude
Robert Capa (Budapest (Hongrie), 1913 - Indochine, 1954), Yeshivah dans le quartier de Mea Shearim, Jérusalem, Israël, 1949
« Et vous les enseignerez à vos enfants » (Deutéronome 11, 19). L’enseignement de la Torah à sa postérité, seul garant de la pérennité de la Tradition, est considéré comme un devoir primordial pour chaque juif. Le Talmud distingue l’érudit (talmid) de l’ignorant (‘am a’arets), et érige une véritable noblesse du savoir. De ce souci découle tout un système de transmission de la connaissance : la yeshivah, terme générique désignant soit un maître chez lequel on va vivre et étudier, soit une véritable institution, avec son mode de fonctionnement, son règlement, ses usages. C’est la notoriété du maître (rosh yeshivah) avec lequel il sera en contact permanent (shimmoush talmid hakham), qui motive un étudiant dans le choix de son lieu d’étude.
Les yeshivot babyloniennes du ve au xe siècle mettent en place une institution originale, les sessions d’études semestrielles (yarhei kallah) destinées au public qui, toutes affaires cessantes, vient étudier durant un mois auprès des sommités rabbiniques (geonim).
Toute cité, aussi petite soit-elle, administre et finance une yeshivah dont elle héberge les étudiants. Ainsi des villes comme Lucena, Narbonne, Ramerupt, Évreux, Volozhin ou Fès, deviennent-elles des centres universellement reconnus.
Dans la yeshivah, les étudiants n’ont d’autre motivation que l’étude pour elle-même (li-shma). Le sujet de l’étude peut être sans rapport avec la réalité quotidienne. Le cursus est inexistant. Aucun diplôme ne sanctionne un acquis, et rares sont les érudits qui finissent par épouser une fonction rabbinique. On y va à tout âge, et on passe d’un maître à l’autre, un maître pouvant redevenir disciple.
L’objet de l’étude et la méthode d’enseignement sont pratiquement les mêmes quels que soient le lieu ou même l’époque. Le texte abordé est le Talmud. Les étudiants travaillent par binômes (havrouta) et préparent le texte qui sera la base du cours du maître. Celui-ci considère comme acquis le passage sur lequel il disserte et y introduit ses subtilités de compréhension et d’interprétation (hiddoush). Le but ultime consiste à confronter différents passages, à relever leurs contradictions éventuelles, pour finalement mettre en évidence la cohérence des sujets traités, par une analyse sémantique serrée, par la création de concepts nouveaux, par la mise en évidence d’une finesse de lecture voire par la correction de la leçon (girsa).
On distingue cependant des courants très différents d’une région à l’autre, et si, dans certaines yeshivot, on cherche à produire une codification claire, d’autres se piquent de casuistique particulièrement fine (pilpoul).
La circoncision
Fauteuil de circoncision, Italie du Nord, XVIIe - XVIIIe siècle
La circoncision (brit milah), signe tangible de l’alliance avec Dieu, constitue un devoir fondamental du judaïsme, institué par le texte de la Genèse (XVII, 9-13) : « Dieu dit à Abraham : “… voici mon alliance que vous garderez entre moi et vous et ta descendance après toi… À l’âge de huit jours sera circoncis tout mâle d’entre vous, suivant vos générations : celui qui est né dans la maison et celui qui est acquis à prix d’argent, de tout étranger qui n’est pas de ta descendance.” » La Bible nous dit qu’Abraham se serait circoncis lui-même à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, puis son fils Ismaël ainsi que toute sa maisonnée et qu’il aurait circoncis son fils Isaac au huitième jour suivant sa naissance..
Il est donc prescrit que la circoncision soit faite le huitième jour ; elle prime alors sur toutes les fêtes et ne peut être différée que si les jours de l’enfant sont menacés. Elle a lieu en présence de dix hommes ; l’acte doit être accompli par un homme pieux et rompu à cette pratique, le mohel ; le nouveau-né est confié à son parrain (sanddaq), qui siège sur un fauteuil imposant appelé « trône d’Élie », en hommage au prophète Élie qui prêcha la remise en vigueur de la circoncision sous le règne de Jézabel (milieu du IXe siècle avant notre ère). La circoncision achevée, le père récite la bénédiction et nomme officiellement l’enfant. Le rituel se termine par un repas de fête.
Les instruments de la circoncision – la coupe, le couteau et la pince protectrice – répondent à un usage antique et sont souvent décorés. Dans les régions rhénanes, il est de coutume de confectionner, à partir du lange de circoncision, une longue bandelette (mappah ou wimpel) et d’y broder le nom de l’enfant, sa date de naissance et des vœux de prospérité. Cette broderie, exécutée par la mère ou une femme de la parenté, parfois même par un brodeur professionnel, est offerte à la synagogue à l’occasion du premier ou du troisième anniversaire de l’enfant durant la cérémonie du « Shultragen » et maintiendra serrés les rouleaux de la Torah dans lequel il lira le jour de sa bar mitsvah.
La bar mitsvah
Châle de prière (tallit qattan), Italie, XVIIIe siècle
La cérémonie de la bar mitsvah (littéralement « fils du devoir ») consacre l’accès du garçon de treize ans à la responsabilité et à l’engagement religieux ; il doit dès lors s’acquitter des prescriptions de la Loi et s’insérer activement dans la communauté religieuse. Il porte les phylactères (tefillin), est admis dans le quorum de dix membres qu’exige la tenue d’un office collectif, et peut être appelé à la lecture de la Torah.
Revêtu du châle de prière rayé de bleu ou de noir (tallit) dont pendent des franges de fils (tsitsit), le jeune garçon met pour la première fois les tefillin : il attache autour de son bras gauche et de sa tête, avec des lanières de cuir, des boîtiers contenant de minuscules parchemins où sont calligraphiés les passages de la Bible qui donnent les principes fondamentaux du judaïsme.
Le samedi suivant la pose des tefillin, le bar mitsvah est appelé à « monter à la Torah » (‘aliyah), sur l’estrade qui trône au milieu de la synagogue, pour sa première lecture de la Loi. Il se penche sur le rouleau, qu’on a sorti de l’arche sainte (aron ha-qoddesh), armoire renfermant les rouleaux de la Torah, prononce une bénédiction et entonne la lecture dans une cantillation traditionnelle. Il est encadré par les hommes de sa famille et par le chantre (hazzan) ou le rabbin qui l’a préparé à cette cérémonie. Il conclut par une seconde bénédiction qui se perd dans de nouveaux cantiques. Le jeune bar mitsvah prononce ensuite une allocution (drashah), un exercice d’interprétation du passage biblique lu témoignant de ses connaissances religieuses et termine en exprimant sa gratitude à l’égard de ses parents et de ses maîtres. La cérémonie est suivie d’une réception. Au cours du XIXe siècle, l’évolution du judaïsme a conduit à l’instauration d’une bat mitsvah (« fille du devoir ») pour les jeunes filles de douze ans.
La kasherout
Alécio de Andrade (Rio de Janeiro, 1938 - Paris, 2003), Boucherie Emouna, rue des Rosiers, Paris, 1975
Manger kasher recouvre des prescriptions qui régissent l’ensemble de la chaîne alimentaire. Prototype de la loi arbitraire pour certains, pratique hygiéniste avant la lettre pour d’autres, la kasherout, ensemble des règles alimentaires juives, s’applique à trois niveaux. Elle désigne d’abord ce qu’il est licite de manger : l’homme se nourrit de viande mais, dans cet acte, il lui est recommandé d’observer les genres et les espèces du règne animal. Ainsi des animaux qui vivent sur terre, il ne peut consommer que ceux qui ruminent et ont le sabot fendu – ces deux critères limitent le choix aux mammifères herbivores et excluent, par exemple, les carnassiers. Les reptiles et les insectes sont interdits. Du règne aquatique ne sont comestibles que les poissons dotés de nageoires et d’écailles. Parmi les oiseaux, les prédateurs sont interdits.
Les animaux autorisés doivent être abattus par une personne qualifiée, le shohet, qui s’assure de leur bonne constitution avant et après l’abattage ; les animaux malades ou morts de mort naturelle sont interdits. La chair doit être longuement salée ou grillée pour être nettoyée de son sang. L’homme juif répugne au sang et la kasherout lui impose d’aller au-delà des interdictions énoncées pour l’humanité tout entière de consommer un membre tiré d’un animal vivant ou de consommer son sang.
Le troisième principe découle de la prohibition biblique qui stipule : « Tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère. » Le « lait de sa mère » souligne l’interdit : ne pas confondre ce qui est le terme de la vie, la chair morte, et ce qui nourrit la vie, le lait maternel. Il est donc prescrit de séparer lait et viande, produits laitiers et produits carnés, de même que les ustensiles servant à la préparation des mets et à leur consommation. Ces prescriptions alimentaires engendrent des contraintes sociales et nécessitent une organisation communautaire apte à pourvoir aux besoins de la consommation. Présentée dans la littérature rabbinique comme un ensemble de lois catégoriques échappant à toute rationalité, la kasherout impose à l’homme juif une retenue constante dans son rapport à la nature et à la société.
La Torah
Coffre et rouleau de Torah (Tiq et Sefer Torah), Empire Ottoman, 1860
Le texte des cinq livres du Pentateuque ou Torah doit être fidèlement copié à la main par le scribe (sofer), à l’aide d’une plume en roseau, trempée dans de l’encre noire, sur un rouleau de parchemin fait de la peau d’un animal pur ; chacune des deux extrémités du parchemin est cousue à un axe en bois, nommé « arbre de vie » (‘ets hayyim) – terme désignant également la Torah dans le judaïsme –, et terminé par une poignée, souvent recouverte d’argent.
Alors que la forme du rouleau de la Torah (sefer Torah), le plus sacré de tous les objets du culte synagogal, n’a pas varié depuis l’époque hellénistique, l’actuel corpus de ses ornements est le fruit d’une évolution pluriséculaire rendant le maniement de la Torah plus cérémonieux et esthétique, et faisant apparaître des différences formelles entre les pratiques cultuelles ashkénazes et séfarades, cette dernière restant plus proche de la tradition antique. Chacun de ces ornements est conçu dans une étroite correspondance avec ceux du culte du temple de Salomon et sert à glorifier la splendeur et l’importance de la Torah. On distingue deux catégories d’objets sacrés. La première, celle des instruments de sainteté ou du sacré (tashmishei qeddoushah) est destinée surtout à protéger la Torah de toute souillure et à la magnifier : elle comprend les textiles : bandelette (mappah) et manteau de Torah (me’il), rideau d’arche sainte (parokhet), les coffres (tiqqim) et l’arche sainte (aron ha-qoddesh). La seconde catégorie d’objets, auxquels leur lien avec la Torah confère également un caractère sacré, résulte davantage d’un ajout esthétique élaboré au fil des siècles, et regroupe les ornements qui rehaussent la beauté de la Torah : couronne (keter), ornements de bâton (rimmonim), plaque (tass), main de lecture (yad).
L’usage antique voulait que le sefer Torah, enveloppé dans une étoffe (mappah) soit enclos dans un coffre cylindrique (tiq) en bois. Cet usage persiste dans la majorité des communautés séfarades et orientales (en Tunisie et en Inde notamment), tandis que les juifs européens l’ont remplacé par le manteau (me’il) d’étoffe précieuse, tel le manteau du grand prêtre.
Émergeant du tiq ou du me’il, les extrémités supérieures des ‘atsei hayyim portent des rimmonim (grenades, symboles de vie et de fertilité ornant les colonnes du Temple de Salomon), aussi appelés tappouhim (pommes) dans les communautés séfarades, bulbes amovibles, en argent ou en cuivre, garnis de clochettes, apparus tardivement – le premier témoignage à leur sujet date du XIIe siècle. En Europe, cette forme cède le pas à des motifs architecturaux, en particulier des tours. Bien que l’usage des rimmonim reste très répandu, le keter Torah, couronne symbolisant de la royauté de la Torah, est aussi utilisé dans les synagogues occidentales. À partir du xve-xvie siècle, sur le me’il, les ashkénazes suspendent le tass, plaque d’argent munie d’une chaîne, rappelant le pectoral du grand prêtre. Des plaquettes d’argent, glissées dans une petite fenêtre fixée sur le tass, indiquent le nom du service célébré (shabbat, Pessah, etc.).
Enfin, conformément à la prescription talmudique « quiconque touche la Torah nu sera enterré nu » (Talmud de Babylone, Shabbat 14a), le yad (main de lecture) facilite la lecture du texte sans que la main entre en contact avec le livre sacré. Couvert de tous ses attributs, ou enfermé dans son coffre, le sefer Torah est rangé dans l’arche sainte (aron ha-qoddesh), devant laquelle pend un long rideau (parokhet).
Les objets de culte remis en 1951 par le JSRO
Quelques uns des 113 objets attribués au musée d’Art juif de Paris par le JRSO et transféré au mahJ en 1998
En mai 1947, fut fondé la Jewish Restitution Successor Organization (JRSO), une fédération d’organisations juives américaines et de représentants des communautés juives françaises, anglaises, et allemandes et de l’Agence juive, dominée par le Joint (American Jewish Joint Distribution Committee). Cet organisme reçut mandat pour gérer la question des biens juifs et émettre les réclamations en vue de restitution ou d’indemnisation ; son siège fut établi à Nuremberg et sa présidence confiée à Salo W. Baron, éminent historien du judaïsme, professeur à l’université de Columbia à New York.
Au sein du JRSO, une section fut chargée spécifiquement des biens culturels : la Jewish Cultural Reconstruction (JCR). Hannah Arendt dirigea sur place, de 1949 à 1952, la collecte des biens et des livres spoliés et leur redistribution aux communautés et aux instances culturelles et éducatives juives dans le monde. Un dépôt central fut créé à Offenbach, un autre à Wiesbaden. Par l’intermédiaire du JCR, 150 000 ouvrages furent redistribués à des bibliothèques, pour l’essentiel en Israël et aux États-Unis. Les objets d’art et de culte furent répartis entre le musée Bezalel à Jérusalem (40 %), les États-Unis (40 %) et pour le reste entre divers pays (l’Angleterre, l’Afrique du Sud, le Canada, l’Argentine et accessoirement la France). Les objets de culte qui pouvaient encore servir et ne présentaient pas de valeur artistique furent envoyés dans des synagogues. Parmi les fonds d’œuvres confiés au JCR, il y eut en outre onze caisses transférées par les autorités militaires américaines d’occupation, du Central Collecting Point de Munich au JRSO, en février 1949. Une petite partie fut envoyée en Israël (trente-cinq peintures) et le restant dispersé en vente publique à New York ; l’abondante publicité faite au préalable permit à plusieurs propriétaires de se faire connaître et d’obtenir restitution de leurs biens.
La clé de répartition 40/40/20 fut appliquée quasiment à l’ensemble des biens culturels juifs restés en déshérence. Le 26 juillet 1952, 36 caisses contenant œuvres et objets d’art ou de culte furent expédiées vers Israël. Lorsqu’en 1954, le JRSO découvrit à Berlin un stock d’œuvres d’art confisqué par les nazis au Reichsvereinigung der Juden, organisme central des juifs créé sous le Reich, la redistribution en fut confiée au Hebrew Union College de Cincinnati. Il s’agit des dernières restitutions d’œuvres d’art opérées par le JCR sous les auspices du JRSO.
Dans le cadre de ces opérations, le musée d’Art juif de Paris, fondé en 1948, reçut 113 objets de culte et textiles de qualité ordinaire. Ils ont été transférés au musée d’art et d’histoire du Judaïsme en 1998.t