
Tableau pour marquer l'est (mizrah), Europe orientale, 2e moitié du XIXe siècle
© Stéphane Maréchalle, RMN – Grand Palais - mahJ
Le calendrier juif repose sur une alternance entre temps profane (hol) et sacré (qoddesh). Le septième jour de la semaine, le shabbat – littéralement « cessation » – est ainsi « sanctifié » par l’arrêt de toute
activité. Débutant le vendredi soir, il rappelle le repos de Dieu après les six jours de la Création dans le récit biblique.
Les fêtes les plus importantes tirent leur origine de la Torah – les cinq premiers livres de la Bible hébraïque –, considérée par la tradition comme la « Loi divine » révélée à Moïse.
Le 1er tishri, le nouvel an (Rosh ha-Shanah) débute un cycle de solennités désignées sous le nom de « jours redoutables » (yamim noraïm). Placé sous le signe du repentir et du jugement, il culmine dix jours plus tard avec le jeûne du Grand Pardon (Yom Kippour), à l’issue duquel les fidèles sont inscrits – ou non – dans le « livre de la vie ».
Trois fêtes célèbrent chacune une étape du récit fondateur du périple des Hébreux d’Égypte vers la terre promise. Elles sont dites « de pèlerinage » car dans l’Antiquité, les juifs se rendaient à Jérusalem
pour offrir un sacrifice au Temple en lien avec le cycle des récoltes. Au printemps, du 15 au 21 nissan, la Pâque (Pessah) commémore la sortie d’Égypte des Hébreux et leur libération de l’esclavage. Sept
semaines plus tard, le 6 sivan, la Pentecôte (Shavouot) célèbre le don de la Torah à Moïse au mont Sinaï. En automne, du 15 au 21 tishri, la fête des cabanes (Soukkot) rappelle la protection divine dont bénéficièrent les Hébreux durant leurs quarante ans d’errance dans le désert.
D’autres fêtes, dites « historiques », sont apparues au cours du temps, célébrant la résilience du peuple juif. Durant 8 jours, du 25 kislev au 2 ou 3 tevet, la fête de la Reconsécration du Temple (Hanoukkah), aussi nommée « fête des Lumières », commémore la victoire des Maccabées sur les Grecs, au 2e siècle avant notre ère. Le 14 adar, la fête des Sorts (Pourim) célèbre l’annulation d’un complot d’extermination des juifs de Perse au 4e siècle avant notre ère raconté dans le Livre d’Esther.
Toutes ces fêtes sont célébrées à la synagogue mais aussi – et surtout – autour de la table familiale, les plats traditionnels constituant pour de nombreux juifs le lien ultime avec la religion de leurs ancêtres.
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À l'occasion de la Pâque (Pessah), qui tombe au début du printemps, de la Pentecôte (Shavouot), au début de l'été, et de la fête des cabanes ou des Tabernacles (Soukkot), au début de l'automne, les hommes adultes se rendaient de toutes les villes d'Israël et de la Diaspora à Jérusalem pour offrir des sacrifices, présenter des offrandes et se livrer à des réjouissances.
Tableau pour marquer l'est (mizrah), Europe orientale, 2e moitié du XIXe siècle
© Stéphane Maréchalle, RMN – Grand Palais - mahJ
Selon la tradition, la Pâque juive (Pessah) célèbre la libération des Israélites de l’esclavage auquel ils avaient été soumis en Égypte. La veille de leur départ, ils offrirent en sacrifice un agneau, qu’ils mangèrent avec des herbes amères. Ils enduisirent de son sang le linteau et les montants de leurs portes pour désigner leurs maisons à la protection divine, alors que la mort s’abattait sur les premiers-nés des Égyptiens. Puis, sous la conduite de Moïse, ils partirent dans la précipitation, emportant des pains dont la pâte n’avait pas eu le temps de lever. La fête commence le 15 du mois de nissan et dure sept jours. La veille du premier jour, une cérémonie bien ordonnancée, le seder, réunit les membres de la famille autour du récit de la sortie d’Égypte (Haggadah). On mange des herbes amères en souvenir de la misère et de la dureté de l’esclavage ; pendant toute la durée de la fête, on ne consomme que du pain azyme (matsah) et des produits dans la composition desquels n’entre pas aucun levain. La Pâque marque aussi le début du printemps et donne lieu à des festivités liées à cette saison.
Le 6 du mois de sivan, à l’issue d’une période de sept semaines, on commémore, à Pentecôte (Shavouot), la révélation divine sur le mont Sinaï et le don de la Loi (matan Torah) à Moïse. La nuit est consacrée à l’étude de la Torah, et le lendemain on lit les Dix Commandements (‘asseret ha-dibrot) dans une synagogue décorée et garnie de fleurs. Pentecôte est aussi la fête de la moisson, saluée en Israël par des processions agrestes rappelant celles des anciens Israélites, qui montaient en cortèges à Jérusalem pour offrir au Temple les prémices de leurs récoltes.
La fête des Tabernacles, Soukkot, célébrée à partir du 15 du mois de tishri – le premier mois de l’année juive – dure une semaine. Elle rappelle les quarante ans que les Israélites passèrent dans le désert après leur sortie d’Égypte, avant de gagner la Terre promise. Des cabanes sont construites dans les cours, sur les balcons ou les terrasses. Structures éphémères ou démontables, leur toit est fait de feuillage laissant apercevoir les étoiles. On y prend ses repas (au moins un par jour) dans une ambiance qui évoque la précarité de l’existence humaine. Dans les synagogues, on brandit des bouquets composés de quatre espèces précises (arba’ah minim) : une branche de palmier (loulav), trois brindilles de myrte (hadass), deux branches de saule (‘aravah) et un citron aromatique, le cédrat (etrog). Le bouquet est agité vers les quatre points cardinaux successivement. Le septième jour de fête, Hosha’na Rabbah, les fidèles forment des processions et le bouquet des quatre espèces laisse sa place à des branches de saule dont on frotte le sol pour en arracher des feuilles. Le huitième jour, consacré à la Joie de la Torah (Simhat Torah), conclut le cycle annuel de la lecture de la Torah et en entame un nouveau. Tous les rouleaux de la Loi sont sortis de l’arche et portés par les fidèles en sept tours autour de l’estrade.
Cabane rituelle (soukkah), Autriche ou Allemagne, fin XIXe siècle
Laurence Salzmann (Philadelphia, 1944), Hanoukkah, Radauti, Roumanie, 1974-1976
La fête des Lumières, dite aussi « fête de la Reconsécration du Temple », est appelée Hanoukkah (en hébreu littéralement « inauguration »). Elle rappelle la victoire historique des Maccabées sur la dynastie hellénistique des Séleucides, rois de Syrie et de Palestine, en 165 avant notre ère. Mattathias l’Hasmonéen et ses fils conduisirent la révolte des juifs contre le roi Antiochus IV Épiphane, qui avait profané le Temple de Jérusalem ; victorieux, ils reconstruisirent un autel, un grand candélabre et plusieurs éléments du mobilier sacré. La restauration du culte juif fut célébrée par de grandes réjouissances.
La fête instituée par les rabbins du Talmud commence le 25 du mois de kislev. La tradition rapporte que Judah l’Hasmonéen ne trouva dans le Temple qu’une fiole d’huile non profanée pour allumer les lampes du grand candélabre ; cette huile brûla miraculeusement huit jours, le temps nécessaire à la fabrication de nouvelles quantités d’huile.
Durant huit jours, à la tombée de la nuit, les juifs procèdent à l’allumage des huit lumières de la lampe de Hanoukkah, en ajoutant une lumière chaque jour. La lampe doit être placée devant une fenêtre au vu de tous. Depuis le Moyen Âge, Hanoukkah est une fête très populaire agrémentée de coutumes diverses : on joue à la toupie ou aux cartes, et, dans le monde occidental, on a pris l’habitude d’offrir des cadeaux aux enfants.
Lampe de la Reconsécration du temple (hanoukkiyyah), Algérie ou Tunisie, XIXe-XXe siècle
Il existe une très grande variété de lampes de Hanoukkah ; toutes comportent huit et souvent une lumière complémentaire dite « serviteur » (shammash) qui sert à les allumer. À l’ancien type romain, lampe à huile plate à compartiments, ou lampe en terre cuite à becs multiples, succèdent, au Moyen Âge, de petites lampes en bronze à dosser et triangulaire, destinées à être accrochées à une paroi. Ce modèle se répand dans toute l’Europe et en Afrique du Nord, et connaîtra de multiples décors : fleurs, scènes bibliques, personnages mythologiques, motifs d’architecture. À partir du XVIe siècle, on les trouve dotées de quatre pieds, tandis que se développe la forme du chandelier, plus adaptée à l’usage synagogal et à l’utilisation de bougies.
Si l’on connaît plutôt les lampes faites de matériaux pérennes (argent, cuivre, bronze) et au décor élaboré, rappelons qu’elles furent la propriété des membres des classes aisées. Les juifs modestes ou pauvres se fabriquent et utilisent des contenants beaucoup plus rudimentaires (terres cuites, terre séchée, pierres creusées ou même légumes) à l’emploi éphémère qui génère par la suite un art populaire particulièrement imaginatif.
La fête des sorts (Pourim)
Rouleau d'Esther enluminé, attribué à Shalom Italia (Mantoue, vers 1619 - Amsterdam, vers 1655), Amsterdam, vers 1641
La fête des sorts (pourim) est célébrée le 14 du mois d’adar. Elle commémore la délivrance des juifs d’un complot qui visait à les exterminer. Le récit de cet épisode, qui se déroule dans l’antique cité de Suse, au Ve siècle avant notre ère, nous est transmis par le livre biblique d’Esther (megillat Ester). Haman, vizir du roi de Perse Assuérus (Ahashverosh, identifié à Xerxès Ier), décide de tuer tous les juifs, « jeunes et vieux, enfants et femmes », et tire au sort (en accadien pour – d’où est issu le mot pourim) la date d’exécution de son projet : le 13 adar. Sur la prière de son oncle Mardochée (ou Mordekhaï), descendant du roi Saül, la reine Esther intervient auprès de son époux Assuérus pour déjouer le complot. Les juifs livrent une bataille victorieuse : Haman et ses fils sont pendus.
Les rabbins ont instauré un jour de jeûne le 13 adar ; le 14 adar est un jour de réjouissance. Dans les cités fortifiées de l’Antiquité, la fête est reportée au lendemain et porte le nom de « Pourim de Suse » (Shoushan Pourim). La veille et le matin de la fête, à la synagogue, on procède à la lecture du livre d’Esther sur un rouleau de parchemin calligraphié : la megillah. L’assistance s’efforce de couvrir le nom de Haman, figure de l’ennemi d’Israël, chaque fois qu’il est prononcé, en agitant claquets ou crécelles. Un festin clôture la fête et les convives sont invités à boire du vin au point de confondre les noms de Haman et de Mardochée. On offre des mets et des pâtisseries aux amis, et des cadeaux aux pauvres. La fête donne lieu à un carnaval et à des représentations théâtrales.
Les megillot enluminées destinées aux particuliers apparaissent après la Renaissance ; certaines sont décorées à la main, d’autres sont imprimés. Toutes portent un décor gravé répétitif – personnages et motifs ornementaux – qui réserve, entre colonnes et cartouches, l’espace pour calligraphier le texte. Les rouleaux italiens sont marqués par l’influence de la commedia dell’arte.
Vers l’an 1000 avant notre ère, le roi David, soucieux d’assurer l’unité des douze tribus israélites sous son pouvoir, établit sa capitale dans une petite ville autonome des monts de Judée et y installe l’Arche d’Alliance (Aron ha-’Edout, littéralement « Arche du Témoignage »), où sont conservées les Tables de la Loi (Louhot ha-Brit, littéralement « Tables de l’alliance »). Son successeur, le roi Salomon, y construit un temple qui achève de sceller l’alliance entre Jérusalem et Dieu. Détruite une première fois par les Babyloniens (en 585 avant notre ère), la cité est restaurée par le prêtre Ezra (Esdras le scribe) et Néhémie (Nehemiah), le gouverneur réformateur envoyé en Judée par Artaxerxès II dans la première moitié du IVe siècle avant notre ère. Plus tard, le roi Hérode (40-3 avant notre ère) rebâtit le temple pour en faire une des splendeurs de l’Antiquité. Jérusalem devient un haut lieu de sacrifices et de pèlerinages, un centre spirituel où les hommes débattent de Dieu et de sa Loi, et poursuivent le salut de l’humanité. Mais elle est détruite une seconde fois par les Romains (en l’an 70) et ses défenseurs sont dispersés hors de leur patrie. Dès lors, ces exilés ne cesseront de caresser le rêve de la restauration de la cité, cultivant dans leur mémoire collective et individuelle l’image d’une Jérusalem céleste, et espérant son accomplissement dans la Jérusalem terrestre. Ils la considèrent désormais comme le nombril du monde destiné à recevoir le Messie et à devenir une « ville de justice », « ville de beauté », « ville de vérité » et « ville de Dieu ».
Dans leurs maisons et leurs synagogues, les juifs marquent la direction de Jérusalem et se tournent vers elle dans leurs prières ; dans leurs actions de grâces, ils demandent sa reconstruction, répétant inlassablement le célèbre verset des Psaumes : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’oublie » (137, 5). Ils ne marquent pas moins de trois journées de jeûne annuelles pour porter son deuil et ne concluent pas la cérémonie de la Pâque et le service du jour du Grand Pardon (Yom Kippour) sans déclarer : « L’an prochain à Jérusalem. » Pendant des siècles, quand ils en avaient la possibilité, ils choisissaient de mourir à Jérusalem pour être enterrés sur le mont des Oliviers, au pied duquel devait se produire la résurrection des morts et vers lequel devaient converger toutes les nations de la terre.