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Entre Joseph Salvador et Alexandre Weill, l’ambivalence du regard juif sur le protestantisme dans la France du XIXe siècle

Par Joël Sebban, Arthur Sachs Fellow, Harvard University, Boston

Joseph Salvador et Alexandre Weill sont tous deux écrivains. Joseph Salvador naît à Montpellier en 1796 d’un père juif d’ascendance marrane et d’une mère catholique ; il considère le milieu protestant cévenol dans lequel il grandit comme sa terre d’adoption. Il est enterré dans le cimetière protestant du Vigan, aux côtés de son frère, uni à la famille protestante des Quatrefages, en présence du rabbin de Nîmes et du pasteur de la commune. Alexandre Weill voit le jour plus d’une décennie plus tard en 1811 à Schirrhoffen, l’une des rares communes alsaciennes à compter une majorité d’habitants juifs en ce début du XIXe siècle. Évoquant son enfance sous la Restauration, Weill qualifie les protestants « de plus grands reschaïm [méchants] que les catholiques ». Les deux hommes incarnent, à des titres différents, les promesses portées par les premières générations juives émancipées. Joseph Salvador écrit en 1838 une Vie de Jésus retentissante, après avoir défendu dix ans plus tôt la légalité du procès de Jésus devant le Sanhédrin selon le droit hébraïque du temps. Alexandre Weill fait paraître à partir des années 1840 et 1850 des « histoires de village », comme il les dénomme lui-même, qui tâchent de retenir par l’écriture un « monde qui s’en va », le judaïsme de la campagne alsacienne. 

Leurs témoignages vont nous permettre de retracer l’ambivalence du regard juif sur le protestantisme au courant du XIXe  siècle. Si, sous l’Empire, celui-ci est volontiers assimilé au luthérianisme d’une Allemagne intolérante aux juifs aux yeux d’israélites français majoritairement alsaciens, l’intégration du judaïsme au sein du régime impérial des cultes va progressivement modifier en profondeur les perceptions juives à l’égard des Églises protestantes. Construite sur le modèle des églises réformées et se plaçant dans leurs sillages pour réclamer une égalité de traitement avec le culte catholique, la Synagogue française nourrit à la fois une relation de profonde proximité avec le monde protestant, particulièrement dans le midi de la France, et une véritable compétition dans le champ doctrinal. Face à une Église arc-boutée dans son refus de la modernité, juifs et protestants réclament, en effet, pour le compte de leurs propres fois la paternité des valeurs libérales. 

Normalien, agrégé en histoire, Joël Sebban est actuellement visiting scholar à Harvard University. Il a récemment soutenu une thèse à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne intitulée : « Aux sources de la tradition judéo-chrétienne. L’État-Nation, la Synagogue et les Églises chrétiennes en France, de Napoléon à Vichy, 1806-1940 ».

Bibliographie

  • « De la distinction entre antijudaïsme et antisémitisme », dans Danielle Cohen-Levinas et Antoine Guggenheim (dir.), L’antijudaïsme à l’épreuve de la théologie et de la philosophie, Paris, Seuil, 2016
  • « Genèse de la “morale judéo-chrétienne” : étude sur l’origine d’une expression dans le monde intellectuel français », Revue de l’histoire des religions, 2014 ; et
  • « Joseph Salvador, penseur libéral et apologiste du judaïsme », Revue des études juives, juin-décembre 2012.

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