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Une famille juive insultée par les truands

MOYSE, Édouard ( Nancy, 1827 - Paris, 1908 )
France,
1895
Inv.
2001.30.001
Peinture
Dimensions :
H. 98 - L. 146,5 cm
Huile sur toile
mahJ,
don de la famille Jean Bernheim

Pour toute demande de reproduction veuillez contacter la photothèque.

Justification de la date
Date du Salon où l'oeuvre fut présentée
Historique
En 1870, Moyse avait inscrit dans le livret du Salon l’argument de son tableau extrait de l’Histoire de France d’Anquetil : « En 1380, lorsque Charles VI monta sur le trône, le peuple écrasé d’impôts s’insurgea, et comme un grand nombre d’Israélites étaient receveurs de contributions, l’émeute prît un caractère religieux à l’égard de tous les Juifs de Paris. La populace se porta à leur quartier, déchira leurs livres de créances, pilla leur caisses et massacra impitoyablement ceux qui firent résistance. » Il reprend le même sujet en 1895 dans le contexte de la montée de l’antisémitisme orchestrée par le journal d’Edouard Drumont La Libre Parole et par le quotidien catholique La Croix. Des commentateurs comprirent, par-delà la transposition au Moyen Âge, qu’il s’agissait d’une réponse aux antisémites contemporains, que le peintre assimile aux truands incultes, et qu’il oppose à la dignité de l’homme bafoué dont, symboliquement, le livre a été jeté à terre. Là où les truands cherchent de l’or, ils ne trouvent que des livres, le bien majeur d’Israël. (D. Jarassé)
Originaire d'une famille juive nancéenne, Édouard Moyse vient à Paris étudier à l'École des Beaux-Arts de Paris sous la direction de Michel-Martin Drolling (Paris, 1786- 1851). Il expose pour la première fois au Salon en 1850.
Édouard Moyse appartient à la première génération d'artistes juifs professionnels qui émerge dans le sillage de l'émancipation et dont l’œuvre atteint sa pleine maturité dans la seconde moitié du XIXe siècle. Tout d'abord attiré par l'art du portrait, il se tourne, dans le cours des années 1860, vers des représentations de la vie religieuse et de l'histoire juives. À l'instar des peintres Moritz Oppenheim en Allemagne et Isidor Kaufmann en Autriche, Moyse transmet une vision idéalisée du passé juif et souligne le contraste entre un mode d'existence révolu et la vie des juifs émancipés dans une société marquée par des transformations mentales, sociales et économiques propres à l'acculturation et à la modernité.
Son souci d'affirmer la dignité de la vie religieuse et familiale juive passée et contemporaine explique le caractère sobre et parfois intemporel de certaines représentations telles que La dispute rabbinique et le Juge rabbinique (dépôts du Musée d'Orsay au MAHJ), réalisées dans les années 1860-70, ou bien Le grand Sanhédrin (1867, MAHJ). Ce même souci se retrouve dans la manière dont il évoque les persécutions subies par les juifs d'Espagne et les marranes dans son tableau Hérétiques devant le tribunal de l'Inquisition à Séville en 1481 (musée municipal de Louviers) ainsi que dans l’œuvre présentée ici et qui lors de sa présentation au Salon de 1895 portait le titre Famille juive insultée par des truands (titre attribué temporairement). Dans ce dernier tableau tout particulièrement, la violence des deux accusateurs contraste fortement avec la dignité du père de famille serrant sa femme et son fils contre lui. La nappe à demi arrachée de la table, le banc renversé, le livre jeté au sol s'associent au poignard et au poing brandi par les accusateurs, au désordre de leurs vêtements. La tension créée entre le calme de la famille le regard fixe du père illustrant sa fermeté d'âme et son attachement inébranlable à la foi juive et les gesticulations brutales des deux hommes ne permet à l'observateur aucune illusion sur le dénouement de la situation.
L'intérêt qu’Édouard Moyse a éprouvé pour la description de la vie juive au temps de l'Inquisition met l'accent sur les épreuves traversées par le peuple juif au cours de son histoire. Au contraire, d'autres artistes, tels Hirszenberg et Gottlieb, préféreront interroger les figures du marranisme (Uriel D'Acosta et Spinoza) comme étant les précurseurs de la modernité et de la liberté de pensée que tant d'artistes et d'intellectuels juifs revendiquent au XIXe siècle par rapport au statut de leurs origines.
Description
Composition triangulaire d'un père assis au centre en robe brune et coiffé d'un bonnet caractéristique. Il tient son jeune fils enlacé qui cache son visage dans l'épaule de son père. La mère, à genoux, protège aussi l'enfant et elle regarde vers l'extérieur du tableau avec un air effrayé. Deux personnages masculins encadrent la famille, l'un encapuchonné à gauche, montre le cabinet ouvert dans le fond de la pièce, l'autre, tête et épaule nues, à droite, tient un poignard.
Dans la scène, l'attitude dynamique des personnages latéraux est en contraste avec le statisme du bloc central de la famille .
Signature
Signé en bas à droite "Moyse"
Bibliographie
Jean Bernheim, "Édouard Moyse ou la peinture israélite. 1827-1908". Paris, Éditions Esthétiques du divers, 2012, pp. 122-123.