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Lettre

DREYFUS, Alfred
Îles du Salut, Guyane, France,
15 juillet 1895 ; 27 juillet 1895
Inv.
2004.27.033.010
Document d'archives
Lettre
Dimensions :
H. 17,9 - L. 11,2 cm
Écriture manuscrite à l'encre noire sur papier
mahJ,
don de Gilbert Schil

Pour toute demande de reproduction veuillez contacter la photothèque.

Appartenance à un ensemble
Ensemble de lettres
Destinataire
DREYFUS, Lucie
Justification de la date
Date inscrite dans le texte
Historique
Copie par Lucie ou un autre membre de la famille.
Les deux dernières lettres copiées dans ce document manquent dans le livre de correspondance.
Description
Deux feuilles de papier, pliées en deux et dont les 8 pages sont couvertes d'une écriture manuscrite.
Textes:
- " Îles du Salut, le 15 juillet 1895/ Ma chère Lucie/ Je t'ai écrit de si longues et de si nombreuses lettres pendant les quelques mois durant lesquels je suis resté sans nouvelles, que je t'ai dit et redit bien des fois toutes mes pensées, toutes mes douleurs." (texte intégral voir dossier)
- " Îles du salut, 27 juillet 1895/ Ma chère Lucie, je t'ai déjà écrit le 15 de ce mois. Je viens aujourd'hui te donner de mes nouvelles et te crier toujours, bien que j'ignore la situation à l'heure présente, courage et foi./ Ma santé est bonne, l'âme domine le corps comme le reste. Jamais je n'admettrai l'idée que nos enfants puissent entrer dans la vie avec un nom déshonoré. C'est de cette pensée commune à tous deux, dont tu dois t'inspirer pour y puiser toute ton indomptable volonté. / Je n'ai jamais craint l'avenir. mais il y a des situations morales qui sont telles, quand on ne les a pas méritées, qu'il faut en sortir, tant pour nous, que pour nos enfants, que pour nos familles./ Quand on ne demande, quand on ne veut que la recherche de la vérité, la recherche des misérables qui ont commis le crime infâme et lâche, on peut se présenter partout la tête haute./ Et cette vérité, il faut l'avoir et tu dois l'avoir. Mon innocence doit être reconnue par tous. Je veux être avec toi et avec les enfants ce jour-là. Baisers aux chers petits. Je vis en eux et en toi. Je t'embrasse de tout cœur ton dévoué Alfred. J'espère recevoir de tes nouvelles dans quelques jours."
- "Îles du Salut, 2 août 1895/ Ma chère Lucie/ Le courrier venant de Cayenne est arrivé hier. j'espérais recevoir tes lettres comme le mois dernier. Cet espoir a été déçu./ Que te dirai-je ma chère et bonne Lucie, que je ne t'ai dit et répété bien des fois./ Si j'ai subi le plus effroyable des supplices, si je supporte aujourd'hui une situation morale dont tous les instants sont pour moi autant de blessures, c'est qu'innocent de cette horrible forfaiture, je veux mon honneur, l'honneur du nom que portent nos chers enfants. / Seul au monde, j'eusse probablement agi différemment./ Ne pouvant moi-même me faire rendre mon honneur, oh! dans ce cas , je te jure bien que j'aurais eu le secret de cette machination infernale, j'eusse laissé à l'avenir le soin de réhabiliter ma mémoire. Si incompréhensible que soit pour moi ce drame, tout finit par se découvrir, même naturellement.
Mais il y avait toi, nos enfants qui portez mon nom; ma famille enfin. Il me fallait vivre, réclamer mon honneur, te soutenir de ma présence, de toute l'ardeur de mon âme, car, et ceci prime tout, il faut que nos enfants entrent dans la vie la tête haute. Et alors cette âme de patient que je n'ai pas, que je n'aurai jamais, je me l'impose, car tel est mon dévoir.- / J'ai eu des moments d'horrible désespoir, c'est vrai aussi, tout ce masque d'infamie, que je porte à la place d'un misérable, me brûle le visage, me broie le cœur, tant enfin tout mon être se révolte contre une situation morale si opposée à ce que je suis. / Je ne sais, ma chère Lucie, quelle est la situation à l'heure actuelle, puisque tes dernières lettres datent de plus de deux mois, mais dis-toi qu'une femme a tous les droits, droits sacrés s'il en fût, quand elle a à remplir la mission la plus élevée qui puisse malheureusement échoir à une épouse et à une mère./ Comme je te l'ai dit souvent aussi tu n'as à demander que la recherche de la vérité. Tu dois certainement trouver dans ceux qui dirigent les affaires de notre pays, des hommes de cœur, qui seront émus de cette douleur immense d'une épouse et d'une mère, qui comprendront ce martyre effroyable d'un soldat pour qui l'honneur est tout, et je ne puis croire qu'on ne mette tout en œuvre pour t'aider à faire la lumière, à démasquer le ou les misérables, indignes de toute pitiè qui ont commis cet horrible forfait./ Je ne puis te donner que les conseils que me suggère mon cœur. Tu es meilleure juge que moi pour apprècier les moyens d'arriver à une réhabilitation prompte et complète./ Mais ce que je puis te dire encore, c'est que la seule préoccupation que tu doives avoir, c'est le souci de l'honneur du nom que tu portes, c'est d'assurer la vie future de nos enfants. Ce but, il faut et tu dois l'atteindre, par quelque moyen que ce soit. Il ne doit pas rester un seul Français qui puisse douter de mon honneur./ Ta mission est grande, tu es digne de la remplir : quand l'honneur me sera rendu - et je souhaite pour nous tous que ce soit bientôt- je consacrerai le restant de mes forces à te faire oublier, à toi aussi, ma pauvre chérie, ces horribles mois de douleur et de chagrin, car plus que toute autre, tu mèrites d'être heureuse et aimée, pour ton grand cœur, ton admirable caractère./ Soit donc toujours forte et vaillante que mon âme, ma profonde affection te soutiennent et te guident./ Ma pensée est constamment avec toi, avec nos chers petits, avec vous tous,/ Baisers aux enfants, à tous, je t'embrasse de toutes mes forces Alfred."
- "2 août, 8 heures soir/ Je venais de terminer cette lettre pour qu'elle parte encore demain pour Cayenne, quand on m'a apporté ton courrier du mois d'avril, tes lettres des mois de juin, ainsi que celles de toute la famille./ Je viens de lire rapidement tes lettres, j'y répondrai plus longuement par le prochain courrier./ Je n'ai rien à changer à ce que je viens de t'écrire. Si épouvantable que soit pour la situation morale qui m'est faite, si broyé que soit mon cœur, je resterai debout jusqu'à mon dernier souffle, car je veux mon honneur, le tien, celui de nos enfants. Mes amis, je n'ai jamais douté d'eux. Ils me connaissent. Mais ce qu'il faut, ce que je veux, c'est la lumière éclatante et telle que personne dans notre cher pays puisse douter de mon honneur. C'est tout mon honneur de soldat que je veux, cette mission je te la confie, je vous la confie, tu la mèneras à bien, je n'en ai nul doute. Je t'embrasse ainsi que nos chers enfants. Ton dévoué Alfred
Langue
français